"Au final, c’est peut être du côté des couleurs qu’il me faudra chercher le souvenir de cette magnifique journée. Du bleu du ciel au blanc des neiges faussement éternelles en passant par le vert des alpages, à l’ocre des roches, l’emeraude des lacs, les couleurs offertes par cette randonnée semblent sortir tout droit de la palette d’un peintre."
Dôme des Rousses via les Lacs Inférieurs, ma terra incognita
Date de sortie : 16 juillet 2023
Sport : Marche / Nature : Randonnée libre
Lieu de départ : Oz-en-Oisans – Station (38114) – Isère
Distance : 34,80 km
Altitude minimale : 1142 m / Altitude maximale : 2800 m
Dénivelé + : 1838 m
Météo : Brume matinale, Soleil
Album photo : 2022 | Oz, Dôme des Rousses via les Lacs Inférieurs
Trace GPS
“Petites îles au milieu d’un océan, seul le sommet des montagnes réussit à percer cette couverture mouvante”
Le réveil sonne cinq heures, le terme d’une nuit profonde de sommeil. Je me sens presque honteux de ne pas avoir entendu partir mon frère presque trois heures plus tôt. Courage à lui dans la quête des cinq cols que compte le Super BRA +. La nuit obscurcissant pour une poignée de minutes encore les silencieuses barres verticales face à la terrasse de l’appartement, j’ai toujours du mal à m’extraire de mon lit à cette heure-ci. Le petit déjeuner tout juste englouti, le jour inonde peu à peu le ciel de sa douce lueur matinale. Si je doutais du programme de la journée, la sortie réalisée hier me persuade d’opter pour le plus grand et le plus difficile parcours de ceux que j’avais au préalable tracés sur mon application de suivi GPS. Objectif, le Dôme des Petites Rousses et ses 2800 mètres d’altitude. Sans aucun doute le plus grandiose aussi. J’ai hâte. Alors que les nuages bas semblent se déverser dans la vallée, les cimes drapées de leur voile orangé apparaissent comme des souveraines en costume d’apparat spectatrices d’un phénomène météo enchanteur qui me laisse présager d’une magnifique journée.
La randonnée débute réellement au niveau du Parc de Loisir en Forêt. Essentiellement en sous-bois, la piste menant au carrefour des sentiers du Bessay d’Oz et de l’Enversin d’Oz est juste parfaite pour se mettre en jambe. A partir de ce point, nommé aussi le plan du cerf, la déclivité s’accentue. Devant moi, des lambeaux d’ombre glissent lentement à l’assaut des montagnes… Des nuages. Plus haut, la dense forêt s’éclaircit peu à peu. Bientôt, seules quelques tâches d’un vert plus soutenu s’érigent çà et là au-dessus des prairies d’altitude tout juste éclairées de la lumière rase du soleil. Me voici bientôt à l’Alpette. Quelques bivouaqueurs sont déjà présents en ce lieu… C’était sans compter les résidentes à l’année. Mon regard se fixe sur une marmotte qui profite des premières heures silencieuses du jour. Ce n’est qu’après un bref instant que je m’aperçois que ce n’est pas une mais bien deux vigies qui se font face. Est-ce l’art du camouflage ou bien mon œil n’est-il pas suffisamment averti pour distinguer sa congénère perchée là un peu plus en hauteur sur ce promontoire couleur rouille ?
A ma gauche, les parois semblent-ils inaccessibles des Rousses se reflètent dans les eaux bleu du Lac Carrelet, premier d’un chapelet de lacs d’altitude que je découvrirai pour certains. Que je découvrirai de nouveau pour d’autres. A l’opposé, les vagues nuageuses s’étendent à perte de vue envahissant toute la vallée. Petites îles au milieu d’un océan, seul le sommet des montagnes réussit à percer cette couverture mouvante. Noyée dans cette masse blanche cotonneuse, la vallée est-elle seulement réveillée ? Devant ce tableau en mouvement, je ne peux m’empêcher de penser à cette œuvre du peintre allemand Caspar David Friedrich, “Le Voyageur contemplant une mer de nuages”. Un rêve prend vie devant mes yeux écarquillés… Une Mer de Nuages.
Au milieu d’une mosaïque de milieux tourbeux entrecoupés de pelouses alpines et de rochers affleurants, de multiple sentes serpentent jusqu’au Lac Besson en passant par le Lac Faucille et le Lac Noir. Tout en veillant ainsi à respecter et à protéger ce milieu fragile, chacun pourra créer son propre itinéraire se laissant guider par son intuition. Les autres sens en éveille, la beauté des lieux ne s’imprègne plus seulement par le prisme de ma rétine. Le vent effleurant ma peau, le bourdonnement des abeilles, l’odeur de la terre, l’humidité des tiges d’herbe en cette heure matinale, je me laisse porter par le silence de la nature. Le cadre est exceptionnel et la balade immersive. Me voilà au abords du parking. La première étape de ma randonnée s’achève et elle a déjà comblé toutes mes attentes.
“Lac Blanc via Avachis”, fait mention une pancarte. J’emprunte le pont à droite de la réserve de truite du Lac Besson puis sillonne au milieu du tapis vert. Je traverse enfin un éboulis rocheux. Minuscule fourmis au pied d’une barre rocheuse de 700 mètres, je prend conscience de notre condition d’Homme devant l’immensité des reliefs façonnés par des forces titanesques depuis tant d’années. Il est ainsi difficile d’imaginer que les Alpes étaient recouvertes par une mer. “Entre mer et montagne, il n’y a qu’un pas… de plus de 250 millions d’années !”
“Rendre l’inaccessible possible”
Le balisage bleu indique une petite voie taillée dans la falaise et équipée dans ses passages les plus délicats de mains courantes, rondins de bois et autres prises artificielles forées dans la roche. Si elle ne présente pas de difficulté majeure du fait de ces nombreux aménagements, l’avancée rendue plus technique incite tout de même à la prudence. Qu’on se le dise, le tronçon est destiné à un public averti en bonne condition physique. J’apprendrais plus tard qu’un autre itinéraire empruntant les pistes de ski permet de contourner ce passage escarpé. Passage, qui, il me faut maintenant l’avouer, je n’aurai vraisemblablement jamais emprunté seul compte tenu de mon tempérament si j’en avais pris connaissance plus tôt. Et cela aurait été dommage tant l’endroit est magnifique.
En me retournant, je peux apercevoir le gradin inférieur de l’Alpette s’amenuir au fur et à mesure que je gagne en altitude sur ces forts dénivelés. En prise sur ses parois rocheuses, la sensation d’altitude est prégnante. Chaque pas est mesuré. J’avance doucement. Je ne me sens pas particulièrement à mon aise et c’est presque avec soulagement que je parviens à revenir sur une randonneuse qui comme moi préfère ne pas confondre vitesse et précipitation. Elle savait en revanche très bien où elle s’aventurait. Nous ferons la majorité restante de la montée ensemble vigilent, l’un comme l’autre, à repérer les témoins bleus du si précieux et impeccable balisage. L’intérêt majeur de ce sentier n’en est néanmoins pas sportif. En effet, outre les somptueux belvédères pour certains aménagés de tables et de bancs en bois sur lesquels il serait si simple de s’allonger, laissant s’égrener trop vite des minutes qui sont toutes plus belles les unes que les autres, ce dernier nous embarque pour une randonnée pédagogique et immersive sur l’histoire de la station de l’Alpe d’Huez ainsi que sur la faune et la flore environnante. L’île au Soleil réserve son lot de merveilles. C’est ainsi, oubliant l’effort, que nous nous laissons porter, transporter vers le sommet de cette barre cristalline qui, comme je le disais un plus haut, me semblait jusque-là inaccessible. L’un des plus grands secrets de la randonnée ne tient-il finalement pas en ces mots: rendre l’inaccessible possible ?
“La nature magnétise ceux qui s’y aventure”
Un pas puis l’autre. Et l’offrande en récompense de l’effort. J’accède enfin au vaste plateau minéral des Petites Rousses. Je délaisse un temps le Lac Blanc pour m’orienter au nord en direction du Lac du Milieu et du Dôme des Rousses, point culminant de ma journée. Une table d’orientation m’en apprend davantage sur les massifs alentour. A 2800 mètres d’altitude, le vent souffle fort et la température ressentie ne doit pas être bien supérieure à 10°C si bien que j’apprécie d’avoir amené avec moi mon polaire et mon tour de cou. Le paysage désertique est presque irréel et l’atmosphère tout à fait unique. Au pied des géants blanc, dans ce décor de pierres et de roches où la quasi absence de couleurs est saisissante et enivrante, la nature magnétise ceux qui s’y aventure. La définition du bonheur est extrêmement large. Nul doute que ce moment pourrait l’intégrer. Un saut dans la haute montagne que je ne saurais mener plus loin vers les lacs glaciaires du plateau des Rousses dont l’itinéraire a tout juste été rendu “randonnable” par le retrait des glaciers causé par le réchauffement climatique. Et pourtant ce sentiment est à tempérer. Car oui, après l’émerveillement vient la remise en question. Et si ces glaciers ont longtemps incarné quelque chose d’immuable, cet éternel disparaît à l’échelle d’une vie humaine. Ironiquement et tragiquement glaçant.
De retour sur mes pas, suivant un temps le sentier du Lac Blanc, j’ai l’occasion d’observer à mes pieds une multitude d’espèces de plantes grâce au Jardin d’Alpin. Parmi celles-ci, on peut citer la Pensée des Alpes, l’Arnica des montagnes ou bien la myrtille du marais. Le spot photo un peu plus en contrebas est un passage obligé à qui veut suspendre le temps. Libéré de son étreinte gelée, le Lac Blanc dévoile ses eaux turquoise dans lesquelles se mirent le pic éponyme. Haut de 3330 mètres, le Pic Blanc, troisème plus haut sommet des Grandes Rousses est surtout, le paradis des amateurs de sensations fortes puisqu’il est notamment le point de départ de la si réputé “Mégavalanche”.
La descente correspondant à la partie un peu rébarbative de la randonnée, je ne ferai que survoler ce passage. Dans un premier temps sur les pistes de ski, je brave l’interdit et emprunte finalement les sentiers dévolus au VTT de descente jusqu’au col du Poutran. Il s’agit alors d’être particulièrement vigilant à ce qui se passe derrière vous. Mais ceci présente un double avantage. Celui de rompre la monotonie d’un côté. Celui de raccourcir un itinéraire qui manque cruellement d’intérêt si ce n’est ce joli point de vue sur la surdimensionné Alpe d’Huez de l’autre côté. A l’inverse du cyclisme où les descentes ne demandent que peu d’effort physique et pendant lesquelles il est possible de récupérer, il en est tout autrement dans la pratique de la marche ou du trail. J’ai les pieds qui commencent sérieusement à “chauffer” et les genoux ainsi que les muscles des cuisses sont extrêmement sollicités pour amortir les chocs et pour pouvoir freiner. Je commence à être éprouvé par les quelque 1500 mètres de dénivelés négatifs jusqu’à la station d’Oz-en-Oisans auxquels il faut en ajouter 200 supplémentaires puisque je choisis de continuer mon chemin en direction de la cascade du Roubier. Niché dans un recoin, à l’ombre des arbres, la rivière Roubier qui chute d’une vingtaine de mètres m’apparaît sous la forme d’une dernière surprise ô combien rafraîchissante. Il ne me reste plus qu’à rejoindre la station en passant par la fontaine du Faubourg histoire d’étancher ma soif, traverser le “Pont du Gay”, et suivre l’ancienne voie romaine pavée. Il est alors un peu plus de 18 heures. L’aiguille des heures a tout juste eu le temps de faire un tour d’horloge.