Oz, mes échappées en Oisans – Part 1 | 2023

Pour ce qui est devenu une sorte de petit rituel entre frères, nous avons rendez-vous en ce lendemain de fête nationale avec les sommets alpins. Un rendez-vous de quatre jours durant lesquels nous alternerons entre le vélo et la marche. Entre sentiers battus et routes asphaltées. Varier les activités, mélanger les efforts et plonger dans des décors sublimes pour mieux bouleverser nos sens. Tel fut l'esquisse de ce long week-end…


Col du Solude, une perle anonyme

Date de sortie : 15 juillet 2023
Sport : Cyclisme / Nature : Cyclotourisme
Lieu de départ : Bourg d’Oisans (38520) – Isère
Distance : 33 km
Moyenne : 13 km/h
Altitude minimale : 715 m / Altitude maximale : 1681 m
Dénivelé + : 1092 m
Météo : Soleil, chaud
Album photo : #OisifsEnOisans-2023”
Trace GPS

Déchargés du coffre, les vélos sont checkés. Fort heureusement. Compris Damien, resserrer les patins n’est pas optionnel !!! A l’heure où le soleil embrase le ciel, nous nous élançons en direction du remarquable Solude. Il est près de 14h30 et je crains de souffrir un peu de la chaleur. Un petit échauffement par vraiment prémédité sur les hauteurs de Bourg d’Oisans, nous voilà déjà dans les premiers contreforts de l’ascension. Dans les bois, l’ambiance somme toute assez méditerranéenne est sereine mais la pente avoisinant les 10% de moyenne me met déjà dans le ton de ce que sera ce col. Bénéficiant d’un relatif anonymat, il est pourtant un paradis pour les cyclistes qui cherchent à éviter la circulation de l’Alpe d’Huez. 

Au niveau de la Combe du Pontet, la route ombragée au bitume noir et lisse jusqu’à présent bordée de pin s’accroche à la falaise. Ce changement de décor édifiant laisse présager d’une suite pour le moins aérienne longue de deux kilomètres environ. Le court tunnel du Pontet, le premier des quatre, apparaît comme la porte d’entrée naturelle d’une immense scène. Le revêtement est maintenant plus irrégulier. Tout à gauche, je mouline. Le col est encore long et ce n’est pas le moment de se griller. Puis vient le deuxième, celui de Villard-Notre-Dame, long de 365 mètres. Éclairé depuis 2020, la lumière jaunâtre des ampoules rend à ce bout d’obscurité une atmosphère particulière. Le contraste de température y est saisissant. Et l’air glacial. A sa sortie, le soleil me réchauffe d’un coup de ses chauds rayons lumineux. Il reste deux corridors ténébreux. Plus court mais non éclairé, cela m’inquiète un peu. 

Ce cadre somptueux fait vite oublier la rudesse de la pente. A défaut d’avaler goulument une montée qui oscille toujours entre 9 et 11%, parfois même davantage, je dévore des yeux les paysages offerts aux chanceux de la petite reine. Notre étroit belvédère s’ouvre sur la vallée de la Romanche. A l’opposé, la vertigineuse route de la Roche, aussi appelée les Balcons d’Auris, fait écho à celle sous nos roues. Je remercie mon frère pour cette belle découverte mais en ai-je réellement besoin ? Ma seule attitude sur le vélo atteste si le fallait encore du réel plaisir que je prends sur cette route si atypique. Je pense que le partage décuple la beauté des choses. Alors, j’ai envie de croire qu’il éprouve au moins autant de bonheur que moi et ce même s’il ne s’agit pas pour lui d’un inédit.

Tandis qu’à gauche, un frêle parapet d’une trentaine de centimètres de haut me sépare du vide, les roches grises et ocres sur ma droite semblent former un demi plafond rocheux paradoxalement sécurisant. Aussi courageux que puisse être le cycliste, emprunter cette route aurait été impossible sans le courage bien plus grand de ces hommes qui ont creusé cette voie à la main et à coup de dynamite. Quelques voitures et de trop nombreuses motos vrombissantes viendront rompre ce silence propice à la réflexion. L’effort comme le partage ont en commun de souligner et de renforcer ce qui fait l’unicité d’un lieu, d’un moment… C’est ainsi que l’éclat de ce site quasi hors du temps ne peut les toucher comme il nous touche nous, mon frère et moi. J’espère que cette plume réussira à rendre grâce à ces hommes sans qui tout cela aurait relevé de l’ordre de l’imaginaire.

Tel un phare dans la nuit, l’œil rivé sur cette faible lueur à l’autre bout du tunnel de la Gardette, j’avance prudemment. Mes pensées englouties par le noir, le confetti devient post’it au gré de ma progression. La distance s’étire et le temps semble se distendre. La courte traversée de 132 mètres devient une éternité. Qu’en sera-t-il pour celui du Foissier (119m) qui ne tardera pas à se dresser immobile entre moi et le sommet ? Sans éclairage mais rassuré par le précédent exercice, je pénètre dans l’inconnu guettant ce point lumineux qui saura me guider. Sauf que la section souterraine opérant une légère courbe sur la gauche, de point lumineux il n’y aura. Sans repères visuels, je perds tout sens de l’orientation – même l’équilibre est plus difficile à tenir. Écrasé par les ténèbres, je panique. La roue avant se dérobe. Je réussi finalement à me retenir à la paroi humide. Le cœur battant fort et le souffle court, l’adrénaline chevillée au corps, je rebrousse chemin. Doté d’une roue dynamo, branchée cette fois-ci, s’est aidée par la lumière blanche émanant du pédalage de mon frère que je me lance de nouveau à l’assaut de ce terrain à conquérir. Je viens de faire l’expérience de la privation d’un sens et à posteriori je ne regrette en aucun cas. Même si j’espère ne pas la renouveler de si tôt… 

A la première épingle, nous sortons réellement de cette portion volée au vide. Nous dominons alors l’endroit où le Vénéon, que j’aurais le plaisir de suivre lors de notre dernière journée alpestre, se jette dans la Romanche. Les gorges de l’Infernet en arrière-plan, le point de vue est à couper le souffle. Le minéral laisse peu à peu la place à une forêt de résineux et de feuillus qui procure une ombre bienfaisante. La pente, plus régulière, semble s’adoucir quelque peu. Et les lacets permettent de se relancer en danseuse. Des panoramas tous plus somptueux les uns que les autres viennent transpercer le rideau de végétation. Le regard qui porte loin, nous pouvons ainsi observer pêle-mêle, le Grand Renaud, le Rochail (3022m) ou encore le Pic du Col d’Ornon (2872m). Même les Aiguilles d’Arves se perdent là bas à l’horizon. 

En vue, le paisible village de Villard-Notre-Dame semble se moquer des tourments que peuvent causer sa route du vertige. Mais là où s’arrête l’asphalte, l’aventure débute. Le goudron devient grossier et de plus en plus terreux. Mais qu’importe, ça passe très bien avec le vélo route. Trois lacets assez raides à négocier de préférence assis sur la selle mènent à la piste reliant le village précédemment cité à celui de Villard Reymond. Caillouteuse et poussiéreuse, elle est en léger faux plat montant dans sa première partie. Descendante dans la suivante. Pour peu que l’on prête une attention accrue à ses trajectoires et que l’on ne freine pas n’importe comment, elle ne saura vous apporter que du bonheur et une satisfaction toute personnelle d’avoir mené vos pérégrinations jusque là. Spectaculaire et sans garde fou quel qu’il soit, le ravin n’est jamais très loin mais la voie est assez large pour ne pas poser ses roues sur le bord instable, là même où la vue glisse et dévisse au fond de la vallée. Tout simplement enivrant. 

Au loin, je devine la forme conique du Prégentil. Le sommet du Solude (1680m) ne doit plus être très loin. Une dernière épingle à gauche puis une dernière rampe que j’aborde assis sur ma selle me conduiront à ce lieu empreint de quiétude où le vaste pâturage ensoleillé et accueillant contraste avec le chaos aménagé de schiste et de calcaire côté Bourg d’Oisans. 

La descente se fait elle sur une chaussée totalement goudronnée. Technique dans sa première partie, elle devient plus large dans sa seconde moitié après la jonction avec la voie principale au lieu-dit La Palud. Crispé sur ma machine, ne pliant pas suffisamment les coudes comme ne cesse de le répéter mon frangin, j’ai beaucoup de mal à appréhender les lacets des premiers kilomètres. Sur ce bitume aux traces orangées, lézardé par endroit, il n’est pas si simple de mettre en application la trajectoire idéale: « Extérieur – Intérieur – Extérieur ». D’abord à découvert, nous pénétrons progressivement dans une forêt de pins où il sent bon la résine. Ayant du mal à lâcher les freins sur ces bouts de droits, j’ai tendance à multiplier les micro-freinages au lieu de privilégier un freinage plus important en entrée de virage. Bref, je ne suis pas à l’aise et ceci n’est qu’une confirmation de ce qui avait déjà été le cas deux ans auparavant sur les pentes du Sabot, son cousin isérois.

Période du tour de France oblige, deux images me viennent à l’esprit. Celle de Pierre Latour, irrémédiablement distancé dans chaque descente. Et celle d’Alaphilippe, sûr de ces trajectoires – fluides – enchaînant les courbes avec une facilité déconcertante. Si la montée repose sur des aptitudes physiques, la descente est un art bien plus difficile à travailler. Une courte montée permet de rejoindre la route du col de l’Ornon qui nous ramène rapidement au point de départ.

Mon frère écrivait sur son blog ces quelques lignes qui résument à elles seules bien des paragraphes. Je ne peux qu’approuver ses dires et le remercie de nouveau pour cette découverte et ce chouette moment partagé à deux.

Le col loin du temps qu’est Solude, ses rampes vertigineuses et ses obscurs tunnels où il est bien facile de perdre ses repères, son village Notre-Dame, ses vues privilégiées sur les grandes Rousses et son Gravel si inspirant. Ce col que j’avais découvert en 2020, à l’issue du premier confinement m’avait donné une claque. Et à voir le grand sourire du frangin à son sommet, il venait de récidiver. Il y a des endroits bénis où le temps se fige. Solude est ce ceux là. Un endroit mythique. Que les initiés chérissent.

Le lendemain, je troquerai mes chaussures à cales pour d’autres à crampons sans me départir pour autant de cette volonté de découvrir. Un large sourire accroché aux lèvres et des yeux d’enfants devant ces paysages conquis. Vous pourrez retrouver l’article consacré à cette randonnée dans la deuxième partie de l’article.

Enchaîner en alternant, la Grande Sure, montée d’Oz (station) et montée de la Bérarde

Lundi, si la grasse matinée est de mise, pas question de rester inactif pour autant. Je propose au frangin une randonnée à la Grande Sure en lui laissant le choix de la variante. Choix étonnamment fait pour la version longue, celle qui présente aussi le plus de dénivelé, nous descendons, au gré de très agréables sentiers en sous-bois, en direction du hameau de Sardonne où le bâti traduit si bien l’architecture typique de la montagne. Le bois et les vieilles pierres pour certaines restaurées se côtoient dans un tout harmonieux. A partir de là, ça grimpe sévère. Jouxtant les lacets de la montée de Villard-Reculas, l’étroit bandeau de terre chemine en épingles serrées et rapprochées entre les arbres à l’ombre bénéfique. Malgré cela, je supporte assez mal la chaleur étouffante du soleil à son zénith. Je ne peux suivre le rythme imposé par mon frère. A ce moment-là, je me sens chanceux que son entraînement en la matière ne soit pas identique à celui effectué en vélo !!! Au terme d’un dernier effort, nous atteignons les sentiers d’alpage du crêt de la Grande Sûre. Paisible quoique non dénué de remontées mécaniques, le belvédère dévoile un large panorama sur les massifs alentour. Nous suivons la sente jusqu’à la fontaine asséchée de Poutran avant de redescendre sur la station d’Oz par le même itinéraire que celui emprunté la veille. 

Mais ce ne serait mal connaître mon frère que de profiter du confort moelleux du canapé de la résidence et de la relative fraîcheur présente entre ses murs. Me voici embarqué, juché sur mon Cannondale, pour un tour des eaux bleues du barrage d’Allemond. Longue d’un peu moins de huit kilomètres à 7,5% de moyenne, la montée de la station qui s’ensuit est très agréable à effectuer. S’agissant d’une montée en station assez traditionnelle, elle ne saurait être l’objectif principal d’une journée mais plutôt un parfait complément pour ceux désireux de jeter leurs dernières forces avant de penser à un repos bien mérité. Ou bien, de penser déjà au prochain défi…

La Bérarde, la montagne en plein cœur

Date de sortie : 18 juillet 2023
Sport : Cyclisme / Nature : Randonnée libre
Lieu de départ : Allemond (38114) – Isère
Distance : 101 km
Moyenne : 19,5 km/h
Altitude minimale : 711 m / Altitude maximale : 1715 m
Dénivelé + : 1644 m
Météo : Soleil
Album photo : 2023 | #OisifsEnOisans”
Trace GPS

Enfin, la dernière journée qui ne devait être que celle du retour fut l’apothéose d’un week-end sportif durant lequel nous n’aurons que très rarement eu l’occasion de débrancher. Ceinturés de colosses au pied d’argile, nous nous enfonçons au cœur du massif des Ecrins en direction de la Bérarde. Bien connu des amoureux de randonnée ainsi que de tous ceux qui font du vide leur terrain de jeu, ce hameau égaré, situé à une poignée de kilomètres de Saint-Christophe-en-Oisans, est un des hauts lieux de l’alpinisme français. 

Rares sont les routes à se faufiler si loin au fond d’une vallée reculée et sauvage. C’est dans ce décor minéral que les eaux pures et cristallines en apparence si tranquilles du Vénéon nous enjoignent à remonter le courant jusqu’à la source. Alimentés par les glaciers et par l’eau de pluie s’écoulant des reliefs, les crues du torrent peuvent pourtant être brutales. En revanche, m’étaler en détail sur cette ascension serait prendre le risque de répéter ce que mon frère à déjà pu rédiger sur le sujet alors je me contenterai de rediriger les lecteurs sur son site internet. Quant à moi, j’irai à l’essentiel. 

Cette montée irrégulière où il est de bon ton de ne pas partir bille en tête a ceci d’atypique que notre regard ne porte jamais très loin. C’est ainsi que le mirage de la Bérarde, sous la garde rapprochée du Dôme des Ecrins (4015 mètres), nous attire en son sein comme l’aimant magnétise les pôles identiques. C’est cette même mystérieuse attraction qui me pousse dans les passages les plus difficiles lorsque la vallée du Vénéon se laisse déborder par de hautes montagnes qui n’en finissent pas de monter vers ciel. Sous l’égide d’une cohorte de pics, aiguilles ou pointes, la route s’accroche alors à la falaise, dessinant ainsi de spectaculaires lacets. Dans ce site aussi majestueux qu’improbable, les hauts sommets couronnant ce paradis sans issue pour nos pneus taillés pour la route s’imposent à moi comme autant de barrières infranchissables. 

La résistance au roulement est notre crédo et vivre l’instant présent notre leitmotiv. Car tout est là: être où l’on est. Sans penser au sommet avant d’y arriver car ce dernier arrivera bien assez tôt. Mais plutôt s’étonner de ce sapin planté comme un spectateur sur une ligne droite, de ces blocs rocheux isolés – “géants endormis” diront certains – témoins de l’histoire et des caprices des éléments, de la douce mélodie du Vénéon qui tranche avec le fracas étourdissant avec lequel le torrent des Etançons se jette dans l’affluent de la Romanche, ou bien encore de cette grotte obscure d’où jaillit un flot d’eau vive. Oui, tout est là, rien ne manque. Nous ne sommes plus là pour faire la Bérarde. Nous ne sommes plus là pour faire un temps. Nous ne sommes plus là pour cocher simplement une case dans la liste des cols à gravir. Au contraire, nous sommes là pour nous rappeler des heures passées côte à côte dans cet écrin préservé de cime grise habillé d’un ruban d’une blancheur laiteuse.