Date de sortie : 27 octobre 2022
Sport : Marche / Nature : Randonnée libre
Lieu de départ : Saint-Just-Saint-Rambert (42170) – Loire
Distance : 36,75 km
Altitude minimale : 414 m / Altitude maximale : 757 m
Dénivelé + : 1090 m
Météo : Soleil légèrement voilé
Album photo : 2022 | Tour du Barrage de Grangent, un territoire remarquable
Trace GPS
Nous sommes le jeudi 27 octobre, surlendemain de la nouvelle lune. Le réveil sonne à 5h00 du matin. Presque une heure et demie plus tôt que lorsque je travaille. Mais ce tour et demi d’horloge a une saveur particulière. De celle qui annonce une belle journée. Selon le principe des vases communicants, l’excitation et l’impatience augmentent autant que l’appréhension éprouvée la veille s’amenuise. Une quinzaine de kilomètres seulement me sépare du départ du parcours, lieu-dit la Baraillère sur la commune de Saint-Just-Saint-Rambert.
“Une fenêtre entrouverte sur un flot de souvenirs merveilleux”
Il est 6h40. La lune est quasiment invisible. Seuls les rares phares des voitures balayent l’obscurité de leurs ombres dansantes. Je lace mes chaussures et m’équipe des derniers accessoires; un tour de cou, un brassard réfléchissant et l’indispensable frontale. Une frontale que j’utilise pour la première fois et qui m’apportera cette lueur qui dissipera la nuit dans la vingtaine de mètres devant moi. Plongée au cœur de cet élément que seuls les animaux nyctalope maîtrise réellement, je m’éloigne lentement de la voiture comme pour mieux appréhender cette nouvelle expérience. Je traverse la route et emprunte le chemin en face, désorienté il est vrai par cette noirceur qui derrière moi se referme. Car oui, la nuit bouleverse nos repères et perturbe nos sens. Je n’ai d’autre choix. Avancer.
Bientôt, les panneaux d’affichage m’informe du point de vue sur l’île de Grangent. Un château que je ne vois pas mais dont la masse sombre qui semble se dégager au-dessus des eaux renferme toujours ses légendes comme celle de Pâquerette, jeune bergère dont s’éprend follement le puissant châtelain au point de passer un pacte avec le diable, lui demandant de la lui donner en épousailles. Un conte épique pour la jeunesse dont pourrait bien un jour, qui sait, s’emparer les studios Pixar… S’évader. Rêver. Laisser son esprit vagabonder. C’est aussi ça la marche. Curieux de connaître la suite de cette légende? Je vous invite à lire l’article que lui consacre le journal Le Progrès.
A ma droite, j’observe en contrebas, éclairé par de puissants projecteurs, l’étrange ballet de véhicules qui s’affairent aux abords de la centrale hydroélectrique mise en eau en 1957. L’eau renvoie des reflets bleu, jaune et rouge. A l’autre bout du pont-barrage, caché derrière les locaux techniques, j’emprunte la sente taillée dans le gneiss et équipée de main courante. Plus loin, l’étroit chemin rejoint un sentier plus large. Le vent qui s’engouffre dans les branches et feuillages d’arbres dont la cime semble embrasser un bout de ciel constellé d’étoiles éparses joue une subtile mélodie. Plusieurs “plates-formes naturelles” offrent des vues plongeantes sur le lac et les gorges. C’est sur l’une d’entre elles que je m’arrête, le regard rivé sur le barrage. Je patiente. J’attends cette occasion où suffisamment de véhicules viendront éclairer l’ouvrage qui lui-même viendra éclairer des milliers de foyers. Dans une société de l’immédiateté et de la profusion, la patience est une vertu. Une vertu élégante bien que parfois oubliée qui pourtant rend plus beau et plus remarquable encore les choses qui se font attendre. Inestimable. Une quête secondaire de la photo qui viendra illustrer en en-tête cet article. Celle qui sera plus tard une fenêtre entrouverte sur un flot de souvenirs merveilleux.
Le jour commence à poindre. Le moment choisi pour éteindre cette lumière artificielle qui m’a accompagné jusque-là. Quelque chose de l’ordre du mystique se dégage de ce bout de terre qui semble flotter au-dessus des eaux. Une terre que n’aurait certainement pas reniée Hergé dans le septième album des aventures de Tintin: “L’Île Noire”. Évasion disais-je…
J’atteins le site historique d’Essalois peu avant l’apparition du soleil. Du haut de son éperon rocheux, il domine fièrement les Gorges de la Loire et offrait d’antan un avantage stratégique à ses occupants. Le portail ouvert, c’est à l’intérieur des murs d’enceinte que je vais pouvoir assister à la magie d’un lever de soleil sur les gorges. Ce dernier ne tardera pas à émerger au-dessus de la ligne d’horizon. Le silence est d’or. De cet or qui habille maintenant le château, ses fortifications, dessine ses reliefs et illumine ses tours. Les chauds rayons de l’astre du jour enlacent des décennies d’histoire. Et bien davantage si l’on considère l’ancien oppidum gaulois qui s’étendait non loin de là. C’est ainsi que, jour après jour, à chaque lever de soleil, le dicible et l’indicible sont mis en lumière.
Il est déjà 8h30 passées. J’emprunte la piste au sud sur 150 mètres puis à gauche le chemin caillouteux qui descend en “esses” à l’ancien ermitage des Camaldules. La lumière rasante agit comme un révélateur sur la richesse de la flore, dont, il me faut bien avouer, je n’ai que peu de connaissances. Elle en épouse les contours. Met en évidence l’écorce des arbres, les nervures des feuilles et les pétales fragiles des fleurs. Un doux parfum de Provence se dégage de ces paysages sauvages. Témoin de ce moment à la fois éphémère et perpétuel, j’ai l’impression d’être acteur bien plus que spectateur.
A l’entrée de ce qui est aujourd’hui un domaine privé, le chemin remonte sur la droite de façon assez raide au travers la forêt. Passant à côté des ruines de la Chapelle Saint-Roch, il débouche sur la crête des Camaldules que l’on suivra, tantôt “escaladant”, tantôt contournant plusieurs ressauts qui sont autant de belvédère sur les gorges. Les falaises sombres et abruptes se reflètent dans un lac lumineux. Au loin, l’eau retenue dans des méandres de plus en plus étroits semble se perdre dans des reliefs éclairés par la lumière diffuse du petit matin. L’instant est magique. La sente sinue au milieu de la végétation puis rejoint un chemin plus large qui mène au village de Chambles. Je me permets un petit détour pour rejoindre un dernier point de vue. A l’opposé, la base nautique de Saint-Victor.
Plus loin, je prends à gauche. Le chemin descend fortement à la presqu’île du Châtelet que l’on atteint en franchissant le petit pont en pierre. La langue granitique s’avance dans la retenue de Grangent. Les pelouses vertes, la plage de sable fin et la chapelle Ste-Foy restaurée offrent un cadre idéal pour un piquenique ou pour se ressourcer. C’est selon. Le niveau relativement bas du lac laisse apparaître certaines constructions parfois immergées. L’endroit, calme et paisible, appelle au “ne rien faire”, si ce n’est profiter du temps présent. J’y resterai sans même m’en rendre compte presque une heure. Durant la remontée, un homme m’interpelle. Après les salutations d’usage, il me demande si je viens d’en bas. J’acquiesce. “Vous êtes sacrément courageux” me répond-il. En vérité, j’ai entamé tôt cette journée dans l’optique de prendre du plaisir et de m’émerveiller de ce que la nature à de plus beau à nous proposer. Bien plus en tout cas que pour le caractère sportif. Ce détour par la presqu’île me semblait alors totalement en accord avec cela. Et ce, même si en ce lieu, la nature a été quelque peu redessinée par l’Homme il y a de çà soixante cinq ans. Je suis d’ailleurs curieux de voir à quoi pouvait-il bien ressembler auparavant. Et tant pis si je devais faire les quelque 200 mètres de dénivelé supplémentaire.
De retour dans le bourg médiéval de Chambles, au pied de l’escalier qui mène au parvis de l’Église et à la Tour, ouverte au public, je viens de faire à n’en pas douter la partie la plus grandiose du parcours. La plus dure aussi. Pour l’avoir visiter deux semaines auparavant, je ne m’attarderai pas dans ce charmant village. La suite, jusqu’au hameau de Biesse, se fait par la route. Alors devant tant de monotonie, je me surprends à chantonner. Je vous laisserai le soin d’en découvrir l’auteur.
Faut qu’je marche
Parce que j’comprends quand je marche
Faut qu’je marche
Parce que j’apprends quand je marche
Faut qu’je marche
Parce que je pense quand je marche
Parce que j’avance quand je marche
Parce que je rêve quand je marche
Au niveau de la croix située sur la place du hameau, je retrouve à mon grand bonheur les sentiers. Direction, Gorges de la Loire (5 km – 1h20). Temporairement, les plateaux succèdent aux gorges. Les forêts commencent à se parer de leur robe automnale aux couleurs chaudes allant du rouge au jaune en passant par l’orange. Il est bon de noter que le tracé est quelque peu sinueux pour rejoindre le pont suspendu du Pertuiset. Il est donc conseillé de garder un œil attentif sur la carte. Aux abords du hameau de Fontclauze, le sentier pénètre de nouveau dans une sombre forêt. Sans forcément prêter gare au balisage, je m’écarte plusieurs fois des sentiers balisés. La pente décline sévèrement. Mieux vaut rester prudent. L’on rejoint dans une épingle, la très fréquentée D3. Une stèle est érigée. Le sentier continue sa descente légèrement sur la gauche en direction du Pertuiset. La vue s’ouvre de nouveau sur un large panorama au sein duquel le village de Saint-Paul-en-Cornillon est surplombé par son imposant château. C’est ici que je décide de m’arrêter quelques minutes pour me restaurer. Mon application gps indique vingt-deux kilomètres.
J’espère que l’attention particulière portée à ce début d’article saura retranscrire les émotions éprouvées au cours de cette première partie de randonnée comme elle saura mettre en valeur ce beau territoire ligérien. Je repense à ces instants de la matinée où le temps m’a paru comme suspendu. Une transition toute trouvée puisque juste en contrebas de ma position, le Pont du Bicentenaire de la Révolution enjambe le dernier fleuve sauvage d’Europe.
“Le château d’Essalois règne sur des gorges clair-obscur”
Pour le retour, je choisis de rester le plus possible sur les rives de la Loire. A ma droite, en haut d’une falaise grise abrupte, des chèvres en liberté pâturent avec aisance. Après tout, ne font-elles pas partie de la famille des caprins à l’instar de leur cousin le bouquetin, animal roi de l’escalade en montagne? Le fleuve scintille des rayons du soleil qui ça et là transperce le plafond nuageux. J’emprunte donc le tracé de l’ancienne voie ferrée sur plusieurs kilomètres, jusqu’au abords des Révotes. Là même où la voie se noie dans les eaux d’un bleu profond, presque noir. Il est possible d’en découvrir quelques vestiges lorsque le barrage est à son bas niveau.
La pente s’élève de nouveau jusqu’au très beau village médiéval de Saint-Victor situé sur un éperon rocheux. Voilà plus de neuf heures que je suis parti. Malgré les presque deux litres d’eau avec lesquels je suis parti ce matin, j’ai soif. Des mots de tête apparaissent. Serait-ce un coup de chaud ou un début de déshydratation? J’éprouve le besoin de m’asseoir quelques instants sur un banc, rue du Prieuré. Il paraît que sur cette montagnette, le vent souffle fort. Ce n’était pas le bon jour pour vérifier ce dicton. Les ruelles étroites et pavées, le bucolique chemin de ronde ainsi que les maisons en pierre font le charme de cette paisible bourgade. A proximité du petit amphithéâtre, assis sur deux chaises en équilibre à l’image de son numéro à l’Aiguille du Midi, une reproduction d’Henry’s vient rendre hommage à celui qui, de part sa traversée historique du barrage de Grangent un jour de 1965 (1,6 km de long, 250 mètres de hauteur, 136 min d’effort), fit rayonner en France et à l’étranger cette bulle de nature ligérienne aujourd’hui classée par le journal Le Monde, 18ème destination où partir en voyage en 2023. De son vrai nom, Henri Julien Réchatin, le funambule aux exploits. Le château seigneurial et l’église romane surplombent la base nautique sur laquelle je redescends par la bien nommée rue de la Plage. Tout est très calme. Peut être même trop calme! Vacances scolaires oblige, je m’attendais à vrai dire, à plus d’agitation et d’animation. Seuls quelques éclats de rire d’enfants trop sages et de temps à autre, une discussion à voix basse de passants venus profiter de la douceur exceptionnelle de cette fin octobre, viennent briser le silence. Le vent est quasiment absent si bien que nul tintement des cordages sur les mâts des embarcations amarrés au ponton est audible.
La forêt succède de nouveau aux habitations. Et l’ombre au soleil. Le sentier traverse le ruisseau Lizeron avant de s’incliner en direction du hameau de Condamine, avant dernière difficulté du jour. A proximité de la Maison de la Réserve Naturelle Régionale des Gorges de la Loire que l’on peut également visiter, le chemin qui s’ensuit se fait, dans sa première partie, sur une magnifique crête panoramique qui répond à celle des Camaldules et sur laquelle je reviendrai dans le paragraphe en clôture de ce petit récit. Tandis que sa seconde moitié se réalise au cœur d’une forêt dense, presque ténébreuse. Classée “Forêt libre”, l’intervention humaine se limite à la sécurisation des sentiers balisés. Précédent l’ultime côte qui me ramènera à la voiture, le long du Grangent, ruisseau sauvage mais asséché par les faibles précipitations de ces derniers mois, un épais tapis humide de feuilles mortes aux teintes orangées amortit chacun de mes pas. En étouffe les sons.
Sur ladite crête, deux points de vue sont signalés par des bornes signalétiques. A l’opposé, le château d’Essalois règne sur des gorges clair-obscur qui auront été mon fil rouge tout au long de cette journée. J’ai l’impression de voir l’envers du décor. Mais attention, ne voyez en rien quelque chose de péjoratif à ce propos. Je reformule. Telle une pièce de monnaie, il m’a été possible d’observer ce matin le côté pile des gorges. Cet après-midi, le côté face s’offre à moi… A moins que ce ne soit l’inverse… Quoi qu’il en soit, la similitude s’arrête ici. Car aujourd’hui, la valeur faciale est la beauté.
Celle que l’on attribue à une chose. Elle est conditionnée par nos représentations. Et en cela, cette valeur nous appartient.