« Col du Sabot et Alpe d’Huez par Villard-Reculas, la fête de l’air » | 2021

Retour une poignée d'années en arrière. En 2018 pour être exact. Par ces nombreux récits, mon frère me convainc enfin d'acheter mon premier vélo. Il insiste cependant sur le fait de bien choisir un triple. Sur ces conseils, j'opte pour un Cannondale Caad 10 aluminium avec fourche carbone. Un cadre qui a fait ses preuves d'après ses dires. Me voici prêt à tenter l'aventure cyclisme... Alors c’est tout naturellement que nous nous tenons là, en ce samedi 21 août 2021, au pied du Sabot (alt: 2103 m), plus haut col routier de l’Isère. Un col de 14,5 km depuis l’usine électrique du barrage du Verney qui me laissera sans nul doute le temps de me “retourner” sur ces trois années.

Col du Sabot (alt: 2103 m)


Alpe d'Huez via Villard-Reculas & Pas de la Confession (alt: 1850 m)

La Fête de l'Air 2021 - Alpe d'Huez


Album photo

Date de sortie : 21 août 2021
Sport : Cyclisme / Nature : Cyclotourisme
Lieu de départ : Allemond (38114) – Isère
Distance : 62 km
Moyenne: 11 km/h
Altitude minimale : 730 m / Altitude maximale : 2117 m
Dénivelé + : 2491 m
Météo : Soleil, ciel sans nuage
Trace GPS

Le Sabot, mon frère m’en avait vanté les qualités. Non loin géographiquement de l’Alpe d’Huez et de ses 21 lacets mythiques, ce col en est pourtant l’exact opposé. Exact pas tout à fait. La pente moyenne y est relativement semblable quoique légèrement plus raide avec 8,9% de moyenne contre 8% pour l’Alpe. La dénivellation un peu supérieure également avec 300 mètres en plus. Mon frère m’en avait pourtant tait ces aspects le rendant au passage plus aisé et plus digeste. NON, ce sur quoi il avait tant insisté, c’est le caractère sauvage de l’endroit. Quand l’Alpe par son versant classique est une “autoroute”, le Sabot, notamment dans sa seconde moitié, est une route touristique très peu empruntée, étroite et au bitume granuleux. Il savait bien que cet argument serait imparable.

“Le Col du Sabot, le joyau caché”

Il fait frais ce matin à Allemond. J’hésite à prendre un sous maillot mais mon frère m’en dissuade. Son expérience de la montagne parle pour lui. Moi, j’écoute. Quand je lève la tête et que mon regard se pose sur les sommets qui m’entourent, je me rend compte du défi qui m’attend. Je connais ses sensations pour avoir vécu pareil moment à plusieurs reprises lors de randonnée pédestre. Que ce soit à Bédoin avec le Ventoux ou à Culoz avec le Grand Colombier par exemple. Le défi semble immense et insurmontable tant nous paraissons petit à côté de ces “géants”. Mais aujourd’hui ce sera une première. Les vélos sont prêts. Les hommes peut-être moins ou tout du moins en ce qui me concerne moi et mon père. Je suis stressé et nerveux mais content d’y être. Prêt à relever le challenge.

Le départ est donné à 8h43 précisément. Mon frère a prévu une entame en douceur. Nous longeons la rive est du barrage du Verney. La route est calme et étroite mais pas tout à fait plate. Parfait pour se mettre en jambe. La vue sur les sommets toisant le lac bleu donne un premier aperçu de ce qui nous attend. Et la bande annonce me donne bien envie de voir la suite du film. Un film dans lequel je ne serai pas simplement le spectateur mais bien l’acteur. Nous retrouvons la grande route de la croix de Fer que nous redescendons sur deux petits kilomètres. Virage à gauche et nous voilà véritablement dans l’ascension du Sabot. Une entrée en matière qui donne le ton. Jusqu’à Vaujany nous évoluons entre 9 et 10% sur une route en lacets qui offre peu de répit mais dont le bitume est de très bonne qualité. Je me souviens du conseil de mon frère 3 ans et demi plus tôt. « Privilégie pour commencer un triple plateau. Si sur nos routes ce n’est pas forcément utile, tu verras, si un jour tu as l’occasion de faire les cols des Alpes, tu seras content de pouvoir y compter dessus. » Un conseil bien sage à cet instant et ce même si j’avais déjà été convaincu  de l’utilité d’un triple dans les multiples raidards qu’il m’a fait connaître dans notre région qu’est le Lyonnais. Des portions raides qui pour deux d’entre elles m’ont obligé à mettre pied à terre… Un échec bien entendu sur le moment mais ce sont bien ces passages plus inclinés sur lesquels j’ai posé mes roues à rayon qui me permette aujourd’hui d’être plus à l’aise et ce même si je dois bien l’avouer je ne suis pas tout à fait serein. Heureusement, le paysage nous fait bien vite lever le nez du guidon pour découvrir le lac du Verney en contrebas, au début de l’ascension, et puis la cascade de la Fare, à l’Est en arrivant sur Vaujany. Mon frère immortalise notre aventure.

Il me fait part de ses impressions sur mon coup de pédale. Elles sont plutôt bonnes ce qui confirme mes sensations mais m’enjoint à rester vigilant et à ne pas me laisser griser. D’autant plus qu’à cet instant, il reste encore 10 km et environ 1000 m de dénivelé. Le calcul est rapide. A l’entrée dans la station où nous marquerons une petite pause, j’ai pris quelques longueurs d’avance. Puis vient une partie de transition jusqu’au hameau de la Villette à 1330 mètres que nous effectuons à un rythme plus tranquille. L’important étant de récupérer en vue de la suite de l’ascension. Ce hameau marque aussi la fin de la “civilisation”.

La sortie est très raide, plus de 10% de moyenne par endroit. La suite s’effectue sur une route d’alpage exposé Est/Sud-Est sans ombre. Alors que le bitume lisse de la montée en station laisse place à un revêtement sale et granuleux, l’altitude et le soleil se rapprochant peu à peu de son zénith ajoutent bien évidemment de la difficulté. Je fais le choix de partir devant. Je ne m’inquiète pas pour mon papa. Bien qu’il soit un peu plus en difficulté, il garde une certaine efficacité. Il est entre de bonnes mains puisque mon frère reste à ses côtés. Je prend un rythme, mon rythme, celui que je pense être capable de tenir jusqu’au sommet. Le décor est somptueux. Un coup d’œil devant me permet d’avoir une bonne vision de ce qui m’attend. La route en lacets se dessinant très clairement au-dessus de moi offre de multiples points de vue, tous aussi spectaculaires les uns que les autres. Je ne cesse de me rappeler les conseils du grand frère. “Roule souple. Reste humble face à la montagne.” A mi-pente, alors que j’entre dans une partie rectiligne qui révèle enfin la fin du col, un regard en contrebas me permet de distinguer mes deux compagnons d’aventure. Ils paraissent déjà si petits. Mon papa semble d’ailleurs s’arrêter sur le bas-côté. Éprouve-t-il juste le besoin de reprendre son souffle? Ou stoppera-t-il ici sa montée? Je ne le pense pas une seule seconde. Je mets à profit cette portion plus favorable – mais pas plate pour autant – pour manger une barre d’amande que j’ai bien du mal à ouvrir. Je veille aussi à m’hydrater régulièrement. Pratiquement seul, je m’imprègne des verts paysages. A l’approche de la dernière partie de la montée, je sens le souffle de mon frère qui revient vite derrière moi. De manière consciente ou inconsciente – je ne sais pas trop – j’accélère un peu. Pas suffisant bien sûr pour éviter son retour. Il évolue deux crans au-dessus. Il a tout de même le souffle court. Je suis bien content de le savoir à mes côtés à présent. Il me demande comment vont les jambes? Si je ne souffre pas trop de la chaleur? Mes impressions sur ce col? Je suis séduit par le profil atypique de ce col, conquis par ce “joyau caché”. Pour le reste, la beauté du lieu aide à oublier la fatigue et les rayons chaud du soleil.

Nous discutons, rigolons… Le regard mobile sur les paysages qui nous ceinturent, nous savourons ces moments qui se transformeront en souvenirs communs. Des souvenirs auxquels, j’en suis sûr, nous ferons régulièrement appelle dans les années à venir. Et si je reste concentré sur mon effort, mon frère prend le temps, en roulant, de réaliser sur le vif quelques photographies. Capturer l’instant fugace où, à la sortie d’un virage, je relance en danseuse semblant adopter une position parallèle à la pente. Les marquages au sol – sur lesquels, tel un métronome, j’ai pris l’habitude de porter mon bidon à mes lèvres – indiquent que le sommet est proche. Novice en montagne, je commence à ressentir la fatigue des efforts consentis jusque-là. Mon coup de pédale est plus heurté. Je m’affaisse sur ma machine. Peu connu, ce Sabot a pourtant tout d’un “majeur” qui ne se laisse pas dompter si facilement. Dernière ligne droite, le sommet n’est plus qu’à quelques tours de roues. Mon frère se porte à ma droite sans mot dire. Nous franchirons la ligne côte-à-côte. Nos regards se croisent. Le mien scintille de toutes les belles choses que j’ai vu jusque-là et de toutes celles qu’il me reste à voir. Il peut y lire la satisfaction non feinte d’avoir atteint l’objectif. La fierté de mon premier col alpin aussi. Un 2000 qui plus est. Passé la semi-déception de cette arrivée sur le parking, vient cette explosion de joie quand quelques mètres plus haut, le véritable cadeau qu’offre ce col se présente devant moi. Debout, immobile face à l’horizon, je tente d’imprimer ce tableau dans mes rétines.

Accompagné par mon frère redescendu à sa rencontre, mon papa en termine lui aussi quelques minutes plus tard, émoussé mais le sourire aux lèvres. Ressent-il sans doute ce que j’ai moi-même ressenti un peu plus tôt? Défi réussi, félicitation à lui. Moi, je me sens d’autant privilégié que ce plaisir, je le partage avec mon frère et mon papa. Nous allongeons nos montures dans l’herbe rase. Aujourd’hui, nous mangerons face à un panorama qui récompense cette difficile montée: le lac de Grand-Maison, la route du col de la Croix de Fer, le col du Glandon, les Aiguilles de l’Argentière et enfin le Mont-Blanc en dernier plan. De là haut, je ne vois que de bonnes raisons qui m’ont fait monter jusque là…

Un dernier regard tourné vers l’horizon, nous rebroussons chemin. J’appréhende la descente. Je l’aborde avec la plus grande prudence jusqu’à « La Villette ». Mains sur des freins que j’actionne sans doute trop ou tout du moins de manière pas optimale. Je prends soin d’éviter les cailloux et les tas de saletés présents sur la route étroite. Crispé, je le suis et je m’arrête pas moins de trois fois. Les doigts engourdis. Quatre si je compte l’arrêt à la fontaine de Vaujany où m’attendent mon frère et mon père, un brin taquins…

“L’Alpe d’Huez par Villard-Reculas, la montée touristique”

Après une petite erreur d’aiguillage que nous mettrons sur le compte de mon inexpérience, je retrouverai mon frère dans la montée de l’Alpes d’Huez par Villard-Reculas (21,9km à 6% de moyenne). Au kilomètre 4 environ. Quasiment ignorée des cyclos, elle offre pourtant de beaux points de vue sur le village d’Allemond – parfois orthographié Allemont – ou encore sur la Grande Sure qui chapeaute l’Alpe. Mon père lui n’a pas souhaité continuer. Mais qu’importe, sa journée est déjà très belle. Nous nous retrouverons là-haut. Je me prépare en vitesse et ressort le vélo du coffre de la voiture. C’est repartie. Les pourcentages réguliers le plus souvent à l’ombre m’aident à reprendre mon rythme mais les jambes sont lourdes et chaque coup de pédale semble porter le poids du Sabot. Réaliser un col est une chose, enchaîner en est une autre. Et cela je m’en rend bien compte.

La route en balcon qui mène à Villard-Reculas, petit village de caractère, puis plus loin au mystérieux “Pas de la Confession” (1542 m), offre un panorama sublime sur la vallée de la Romanche et angle de vue parfait sur les terribles lacets de l’Alpe. Le caractère extraordinaire de cette montée n’en est que amplifié. Nous redescendons jusqu’à Huez pour rejoindre la route principale au niveau du virage 6. La fin de l’ascension me sera plus difficile. La première raison est la chaleur, la seconde, la fatigue accumulée depuis le début de la matinée bien évidemment. Tandis qu’à l’horizon, dans le bleu du ciel, les voltigeurs de la Patrouille REVA enchaînent les figures avec une aisance spectaculaire, mon attitude sur le vélo s’étiole au fil des mètres. Je m’écrase sur ma monture. Le sourire s’estompe. Je commence à lâcher mentalement. Chaque “bout de droit” succédant aux mythiques virages me semble bien long. Je ne suis qu’une seule ligne directrice. Une deadline imposée: 16h15. Horaire à partir duquel la Patrouille de France survolera l’Alpe d’Huez. La pente est exigeante. Plus haut, le photographe “Photo Breton” immortalise MON exploit et ses sympathiques encouragements s’ajoutent à ceux de mon frère. Le moral regonflé, j’essaie de profiter de chaque instant à leur juste valeur. Bientôt le virage 1. Mes pupilles humectées de larmes de bonheur, une joie indescriptible s’empare de moi. Je sens le sommet approché. J’entre dans le quartier du « Vieil Alpe”, arrivée “officieuse” puis passe sous le tunnel pour emprunter la Route de la Poste. Je franchis l’arrivée officielle. Lessivé mais comblé. Rejoindre l’Altiport Henri-Giraud nécessite un dernier effort bien superflus en rapport avec ce que je viens d’accomplir jusque là. Bien aidé il est vrai par un coéquipier du luxe. Si les efforts décuplent les émotions, celles ressenties maintenant sont à leur apogée.

Nous prenons place au milieu d’une foule venue admirer le show aérien d’exception servi par des protagonistes de haute volée. Les Alphajets fendent le ciel de l’Alpe d’Huez formant un ballet millimétré au couleur du drapeau de la France. Précision, coordination, la démonstration est époustouflante. J’en ai la chair de poule. La beauté des paysages conquis semble m’apparaître sous la figure d’une rare récompense qui les rend plus somptueux encore.

De cette magnifique journée, les instants de joie et les émotions nés du partage resteront tatoués dans ma chair. Emprisonnés dans mon esprit.